CAMPAGNA E VITA
Actions solidaires auprès des populations migrantes
En parallèle des activités agricoles, Casalina mobilise ses bénévoles pour venir en aide aux populations migrantes, plus particulièrement ceux qui sont travailleurs saisonniers dans le secteur agricole. Pour cela, il nous était indispensable de comprendre l’histoire du lieu, la politique actuelle et les réalités que vivent ici les demandeurs d’asile en allant à leur rencontre.
COMPRENDRE LE CAPORALATO
Rencontre de l’OMB
Située à une quinzaine de kilomètres de Casalina, l’association OMB (Osservatorio Migranti Basilicata) se préoccupe depuis plus de 20 ans des questions sociales qui lient la migration et l'agriculture.
En collectant témoignages et informations, l’OMB cherche à analyser ses données pour proposer des solutions telles qu’une aide syndicale ou juridique aux travailleurs migrants, pour organiser des activités d’intégration sociale et pour attirer l'attention des organismes publics et privés concernés.
Par leur rencontre, Casalina a pu acquérir une compréhension approfondie des défis auxquels les travailleurs migrants sont confrontés au quotidien et également tisser un réseau avec de nombreux acteurs sociaux impliqués sur le territoire.
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Laissez-nous vous en dire un peu plus...
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Il Caporalato
Le secteur agricole est l'un des principaux moteurs de développement du sud de l'Italie, capable de générer des emplois et donc d'attirer des dizaines de milliers de travailleurs saisonniers. Une grande partie de la production nationale d’agrumes, d’huiles, de céréales, de vin, de blé et des fruits et légumes est issue des régions du sud. De la Sicile jusqu’aux Pouilles, les travailleurs migrants se déplacent tout au long de l'année de région en région pour participer à la récolte des fruits et légumes de saison.
Pour faire le lien entre les exploitants agricoles et la main d'œuvre disponible, il n’existe pas d’organisme légal efficace. C’est principalement ce manquement qui a fait naître un système illégal et criminel: LE CAPORALATO.
L’origine de ce phénomène date des années 60 où les ouvriers agricoles munis d’une camionnette acquièrent le statut d'intermédiaire entre les propriétaires terriens et les ouvriers italiens. Ainsi, ils obtiennent un revenu en prenant une part du salaire des employés placés et transportés sur un lieu de travail.
Peu à peu d’autres facteurs tels que la compétitivité du marché agricole et la diminution des emplois vont renforcer cette dynamique.
Aujourd’hui ces intermédiaires sont nommés les "caporali". lls doivent former rapidement des équipes de travail et les transporter vers les champs, parfois à des dizaines de kilomètres, en échange d'une contribution financière.
Les véhicules utilisés pour le transport des travailleurs sont des fourgonnettes, souvent modifiées par l'ajout de banquettes dans le compartiment arrière, afin de charger le plus grand nombre possible de travailleurs. Les accidents mortels impliquant ces fourgons ne sont pas rares.
Les caporaux ne se limitent pas au rôle d'intermédiaire. Ils contrôlent tous les aspects de la vie du travailleur à des tarifs honteux: logement, salaire, nourriture, eau,... Le travailleur se retrouve inévitablement dans un rapport de soumission et sous une emprise psychologique forte.
Ce phénomène est particulièrement répandu dans le sud de l’Italie afin de profiter de la présence de main-d'œuvre immigrée. L’Italie étant la porte d'entrée de l'Union européenne pour de nombreuses populations, les migrants s'y retrouvent souvent bloqués pendant plusieurs années en attente d’un permis de séjour ou de travail. Le Caporalato profite de cette situation pour exploiter ces travailleurs migrants et imposer des conditions inhumaines.
Un esclavage moderne
En arrivant en terre “d'accueil” européenne, les populations déracinées sont forcées d’accepter ces conditions de travail indignes pour un minimum d’émancipation économique.
À la différence d’un esclavage “traditionnel”, le caporalato ne force pas les travailleurs à exécuter des tâches, mais il profite de la situation sociale précaire et clandestine des migrants. Même quand les travailleurs sont contractualisés, seule une partie du temps de travail est déclarée. Les conditions d’embauche ne garantissent donc ni le salaire minimum (allant parfois jusqu'à 2 euros de l’heure), ni les durées maximums (jusqu'à 14 heures par jour). La sécurité sur le lieu de travail est souvent absente, notamment dans le cas d’utilisation de produits phytosanitaires, de plus, en cas d’accident, il n'existe évidemment pas de système d’assurance maladie.
Dans le sud de l’Italie, ces conditions ne sont pas exclusivement réservées aux étrangers, cependant les phénomènes de maltraitances sont particulièrement présents envers les personnes qui n’ont pas d’autres choix que d’accepter les conditions imposées par le Caporalato. Cette forme d'esclavage moderne est courante dans plusieurs régions d'Europe et elle represente malheureusement le début de la chaîne de production des aliments qui finiront dans nos assiettes.
LES GHETTOS
L’héritage de la réforme agraire
Pour les travailleurs migrants saisonniers, les conditions de logement sont tout aussi problématiques. Au milieu des champs, un grand nombre de bâtiments abandonnés servent de refuge aux travailleurs. Ces constructions sont issues de la réforme agraire menée au cours des années 50 et la maison de Casalina en fait partie, mais son usage a perduré jusque dans les années 2000 comme maison de campagne d’un habitant de Spinazzola.
Après la chute du régime fasciste de Mussolini (1945), de nouvelles réformes voient le jour pour dynamiser les campagnes ravagées par la Seconde Guerre mondiale. Les grands propriétaires terriens sont expropriés et les terres divisées en petites parcelles sur chacune desquelles est construit une maison, un puits, un bâtiment à grain et une étable. Elles sont alors redistribuées aux ouvriers agricoles sous le slogan “ la terre à ceux qui la travaillent.”
Cependant, les différents services que la réforme prévoyait tels que des transports, un accès à la scolarité ou aux soins de santé, n’ont jamais vu le jour dans la grande majorité des campagnes. L'abandon progressif de ces bâtiments a engendré la possibilité pour la mafia agricole d’y loger des travailleurs migrants.
“ Architecture of Shame”
Pas de fenêtre, pas de portes, pas d’eau, pas d'électricité dans ces bâtiments en ruines, qui permettent de loger une partie des travailleurs saisonniers. D’autres se réunissent parfois par milliers dans des bidonvilles comme à Borgo Mezzanone ou a Rignano près de Foggia. Le Caporali profitent de ces regroupements pour recruter au jour le jour la main-d'œuvre nécessaire aux exploitants agricoles.
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Les implications de Casalina
C’est dans ce contexte que les bénévoles de Casalina vont à la rencontre de ceux qui vivent dans les ghettos pour apporter des biens de première nécessité comme de l’eau potable, des matelas, couvertures et habits. Les travailleurs peuvent se rendre à Casalina pour avoir accès à l'électricité (recharger leurs appareils électroniques) et utiliser la machine à laver. Les bénévoles leur proposent aussi des trajets jusqu’au à la ville pour faire des démarches administratives, des courses ou envoyer de l’argent à leur famille. Ces activités qui permettent de subvenir aux besoins de base de ces personnes ont aussi contribué à créer des liens d’amitié.
WELCOME REFUGEES
Demander l’asile
En 2019, les bénévoles de Casalina font la rencontre de Damian et Martin venus du Nigeria. Ils parlent le Pidgin english et sont à Spinazzola pour la récolte des tomates. Comme la plupart des travailleurs saisonniers que nous avons eu l’occasion de rencontrer au cours de ces 3 dernières années, ils ont entre 20 et 40 ans et sont en procédure de régularisation. Après avoir traversé l’enfer de la Libye et celui de la Méditerranée, ils sont arrivés en Italie et ont décidé de miser leur avenir sur ce pays. D’autres décident de continuer vers le Nord de l’Europe bien conscients que la route risque d’être encore périlleuse mais que d’autres conditions d’accueil pourraient leur garantir une régulation plus rapide, un accès à l’université ou un travail mieux rémunéré.
Lorsqu’un réfugié commence la procédure de régularisation en Italie, il donne ses empreintes digitales et reste lié administrativement à la péninsule pour la durée de son séjour en Europe (Règlement de Dublin). Puis, il est placé dans un foyer d’accueil, dans lequel il s’engage à rester: une structure communale ou privée reconvertie en hébergement pour demandeurs d’asile dont le gérant est tenu d’assurer la décence du lieu et de leur garantir nourriture, argent de poche, soins médicaux et activités d'intégration.
En novembre 2019, Damian et Martin nous ont invités dans le foyer où ils vivent lorsqu’ils ne se déplacent pas à la recherche de travail. C’est un ancien Hôtel où sont accueillis une quarantaine d’hommes venus principalement d’Afrique de l’Ouest et du Pakistan. Comme de nombreux foyers, il se trouve isolé à plusieurs kilomètres d’une ville ne permettant à ses occupants ni de s’intégrer à la culture italienne, ni d’avoir un emploi à proximité de leur hébergement officiel. Ils n’ont pas non plus la possibilité d’être autonome pour se déplacer, gérer leurs démarches administratives et accomplir leurs activités quotidiennes (sociales, religieuses, sportives, etc.).
Pendant leur séjour dans ces centres d'accueil, les migrants se voient attribuer un avocat qui les accompagne pendant la longue et complexe procédure de régularisation. Malheureusement, étant donné le nombre important de demandeurs qui sont attribués à chaque avocat, il arrive que les migrants ne soient pas correctement suivis et se sentent abandonnés. Nombreux sont ceux qui, aux vues des difficultés et des temps d’attente décident de s’extraire du système officiel et de continuer leur parcours en clandestinité.
Capralina
En Avril 2020, nos chers Damian et Martin nous signalent leur retour dans les ghettos de Spinazzola. Les nuits en campagne sont encore très froides et la pandémie vient de commencer. Pandémie qui, a contrario de cette perte de lien dénotée un peu partout dans le monde, sera le point de départ d’une formidable aventure humaine. Après plusieurs tentatives vaines de leur trouver un logement dans la ville de Spinazzola, Casalina décide de les accueillir pendant toute la saison agricole avec leurs 8 amis venus du Nigéria et de Gambie. La cohabitation de ces deux mondes aura été aussi enrichissante que bénéfique pour tous: échange de culture, de musique et de gastronomie comme par exemple la spécialité Nigérienne de chèvre pimentée accompagnée de son banku, pâte de farine et d'eau qui accompagne la plupart des plats.
Les bénévoles de Casalina apprennent à connaître leur histoire et leur présent. Ils participent ensemble à la traditionnelle “passeggiata” du centre ville (promenade citadine populaire), organisent des cours d’italiens, visitent le parc régional de la Murgia, découvrent la plage comme un espace de loisir. Ils leur communiquent leur préoccupation environnementale et surtout leur apportent un soutien juridique par le biais d’un avocat militant. Ces échanges auront été un événement marquant dans la vie de Casalina.
Sit in à Palazzo San Gervasio
Un autre événement important à lieu vers la fin de l’été 2020 dans la commune de Palazzo San Gervasio à côté de Casalina. Les bénévoles sont informés par l’OMB d’une problématique importante de logement des travailleurs. Une infrastructure légale (une ancienne fabrique de Tabac) prévue pour les logés n’est pas encore en fonction alors que la saison arrive presque à son terme. L’OMB explique aux bénévoles que ò’année précédente le “Caporale” qui organisait le trafic de travailleurs pour la récolte des tomates a été arrêté par la police. Toutefois, le démantèlement du système criminel n’est pas accompagné par la mise en place de structures capables d'accueillir les travailleurs et de leur fournir un moyen de transport vers leur lieu de travail.
Les saisonniers privés du système informel précédent et abandonné par l'État décident de manifester en face de l’ancienne manifacture proclamant “un toit pour tous, ghetto pour personne”.
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Ils resteront jour et nuit sur place jusqu’à l’ouverture du centre, en faisant appel aux associations et aux médias. Les bénévoles de Casalina iront les soutenir en dormant sur place, en apportant de quoi faire des banderoles, des ustensiles de cuisine, des repas chauds et en mettant la pression sur les autorités compétentes. Après plusieurs jours de protestations, le centre à finalement ouvert pour les quelques jours de saisons restantes. En 2021, le centre à ouvert début septembre, donc de nouveau en retard par rapport au début de la saison, malheureusement les places disponibles n'étaient que 210 alors que les campagnes de Palazzo San Gervasio ont besoin d’au moins 500 travailleurs saisonniers.
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Cet évènement montre qu'après plusieurs années de déni, l'État Italien décide d’intervenir en arrêtant les Caporali et en démantelant certains des systèmes criminels. La réaction du gouvernement est principalement du au fait que les informations sur l’esclavage moderne remonte aux distributeur de produits dans toute l’Europe produisant un effet de boycott de la part des consomateurs. Malheureusement, comme illustré dans la situation de Palazzo San Gervasio, l’action de l'État n’est pas complète et laisse les travailleurs sans proposer de solution alternative au caporalato.
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Les actions de Casalina s'inscrivent dans le processus d’information et sensibilisation des consommateurs européens et s'efforcent de fournir un soutien sur place aux travailleurs.